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FRANCE CULTURE – À LA DEMANDE – PODCAST
Dire combien c’est beau et intelligent. Dire aussi tout ce que la radio offre parfois de merveilles en matière de création. Que, s’il fallait en choisir deux en cette rentrée, il y aurait « Extrêmement fort et incroyablement près », réalisée par Cédric Aussir, et « Alice et Hadrien », mise en ondes par Sabine Zovighian et écrite par Claire Richard, couple radiophonique à qui l’on doit notamment « Les Chemins de désir » et « La Dernière Nuit d’Anne Bonny ».
Mais d’abord, le pitch : légende de l’art contemporain, Alice vit seule dans sa maison peuplée de souvenirs et de fantômes quand Hadrien, jeune critique d’art aussi admiratif qu’ambitieux, vient réveiller en elle le désir. A deux voix, ils racontent leur histoire, inspirée par les couples formés par Louise Bourgeois et Jerry Gorovoy, Marguerite Yourcenar et Jerry Wilson ou encore Marguerite Duras et Yann Andréa.
Bien qu’exact, ce résumé est terriblement réducteur en comparaison avec le texte de Claire Richard à qui on a envie de poser la question du pourquoi et du comment. Même si son fil Facebook nous avait déjà un peu éclairée : « Il y a cinq ans, j’ai commencé à me passionner pour les histoires d’amour entre de vieilles et terribles artistes et des jeunes hommes qui les accompagnent jusqu’à la mort. J’avais commencé un texte, puis peiné et tiré un tarot qui m’avait conseillé sans équivoque de lâcher l’affaire. Mais les obsessions c’est tenace. » En ce jour de septembre, elle sourit et ajoute : « Interroger les asymétries de pouvoir que ce genre de relations suppose et comment le pouvoir change continuellement de pôle ; le côté polyphonique que cela permettait : c’était une super matière à travailler. »
Encouragée par sa complice Sabine Zovighian, elle se remet à l’écriture. Soit donc Alice Nedelson, artiste subtilement incarnée par Danièle Lebrun, de la Comédie-Française. Soit donc Hadrien (Charlie Fabert), vingt-six ans d’impertinence et un goût certain pour les garçons. Alors que « la tristesse s’est déposée sur ses épaules comme un châle », la venue d’Hadrien offre à Alice un nouveau souffle.
De suite, elle lui propose un poste d’assistant alors que le MoMA, à New York, organise une rétrospective de son œuvre. Le jeune homme accepte, et, bientôt, elle l’installe à demeure. Autant dire que ça jase. Certains disent qu’il profite d’elle. Mais qui profite de qui, de quoi ? Et puis tout le monde (c’est-à-dire chacun) ne veut-il pas sa livre de chair d’Alice (le galeriste, incarné par Grégoire Oestermann ; son fils ; ses « amis » et ses fantômes aussi) ? Question d’une grande modernité, d’une grande complexité aussi − et jamais Claire Richard ne cède à la simplification.
Parce que cette histoire que l’on pourrait dire d’emprise est aussi l’histoire d’une femme qui ne veut pas mourir seule, d’une artiste au travail et de son énergie féroce et joyeuse, l’histoire d’un jeune homme ambitieux, qui prend et apprend d’elle. D’ailleurs, à celles et ceux qui (dis)qualifient leur relation, la mère de ce dernier dira : « Mais qu’est-ce que ça veut dire contre nature ! Et puis l’inverse arrive tout le temps. » D’autant que c’est aussi (et simplement ?) une histoire d’amour, avec ses premières fois. Avec, aussi et bien trop tôt, son cortège de reproches et de disputes. C’est donc et tout à la fois un amour exceptionnel et ordinaire qui se donne à entendre ici.
« Ne pas couper l’herbe sous le pied de l’émotion, mais ne pas non plus se laisser tomber dans un truc trop sucré. Apporter du nerf, de la rupture, du rythme, de l’inattendu, du contrepoint » : Sabine Zovighian avoue avoir passé l’été à se morfondre. Et pourtant : avec l’agilité d’une fildefériste, jouant sur les temporalités et tissant des correspondances, grâce à la pertinence de son usage des archives, grâce, aussi, à la musique (composée pour l’occasion par son complice Michael Liot et Thibault Marchal), elle signe une réalisation magistrale.
« Alice et Hadrien », de Claire Richard, réalisé par Sabine Zovighian. Sur le site de France Culture et sur toutes les plateformes d’écoute habituelles (Fr., 2024, 2 × 58 min).
Emilie Grangeray
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